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Projet de loi Santé : La CNI écrit aux députés

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Marseille, le 3 novembre 2015
À Mesdames et Messieurs les Députés
Mesdames, Messieurs les Députés,
Le projet de Loi de modernisation de notre système de santé revient en deuxième lecture à l’Assemblée Nationale. Notre syndicat a été convié, le 28 octobre, à une table ronde par les rapporteurs Messieurs les Députés SEBAOUN et TOURAINE que nous remercions de leur invitation. La discussion a essentiellement portée, lors de cette audition, sur la question de l’Ordre National Infirmier. A la suite de ces échanges, il nous est apparu pertinent de vous faire partager notre lecture du projet sur plusieurs points :

  • Concernant les Groupements Hospitaliers de Territoire (article 27) :

Nous réitérons avec force notre opposition à l’obligation de création de GHT pour les établissements de santé. Si nous sommes bien sûr favorables à une vigilance absolue concernant la gestion des fonds publics, nous ne pensons pas que ce schéma, préfigurant les fusions à venir, soit la réponse économique adaptée.
En effet, s’il apparaît souvent plus simple de multiplier les mutualisations de moyens, les Communautés Hospitalières de Territoire ont parfaitement démontré qu’il ne s’agissait pas toujours de la solution la plus efficiente.
Nous avons de multiples exemples de difficultés à la rédaction du projet médical et de la réalité de son fonctionnement au sein d’un seul et même établissement, il nous paraît donc plutôt inadapté, de l’envisager à plus grande échelle.
Vouloir programmer la mutualisation des systèmes d’information entre établissements nous semble encore plus irréaliste dans le contexte actuel. Lorsque l’on considère les établissements publics de santé d’un même département ou d’une même région, le constat s’impose : la compatibilité n’est déjà pas au rendez-vous.

Derrière ces faits, nous soignants, voyons déjà une succession de dysfonctionnements préjudiciables à nos conditions de travail mais aussi et surtout à la prise en charge des patients. Nous avons bien compris la volonté de regrouper pour répondre à la carence en moyens, tant financiers que médicaux, mais ce palliatif ne va-t-il pas encore fragiliser notre système de santé déjà bien éprouvé ?
Est-il nécessaire de développer l’impact que ne manquera pas d’avoir l’éloignement géographique des établissements d’un même GHT sur les personnels et les usagers ?
Est-il si utopique d’exiger les moyens d’une humanisation de la prise en charge des usagers ?
Les choix présentés par ce projet traduisent à notre sens une méconnaissance de la réalité de terrain et des dysfonctionnements actuels.

  • Concernant l’article 28, le Développement Professionnel Continu :

Créé par la loi Hôpital, Patients, Santé et Territoires (HPST) en 2009 et dédié aux professionnels de santé de France (au sens du Code de Santé Publique, chapitre IV), le DPC est amendé par le projet de Loi qui crée l’Agence Nationale du Développement Professionnel Continu. L’ANDPC aura pour mission d’assurer le pilotage du dispositif de développement professionnel continu pour l’ensemble des professionnels de santé, quels que soient leurs statuts ou conditions d’exercice. Nous sommes bien sûr favorables aux objectifs énoncés à savoir « le maintien et l’actualisation des connaissances et des compétences ainsi que l’amélioration des pratiques ».
Nous avons cependant quelques difficultés de lisibilité de fonctionnement, notamment en ce qui concerne les moyens donnés pour financer le dispositif.

  • Concernant l’article 30 et la pratique avancée:

Nous sommes très favorables à la reconnaissance et au développement d’une pratique avancée paramédicale. A l’instar de nombreux autres pays, nous souhaitons l’inscription du niveau MASTER pour cette formation dont les référentiels devront préciser le cadre d’exercice et le droit à prescription.
La démographie médicale actuelle et à venir ainsi que la répartition géographique, nous incite cependant à penser que la mise en place d’une pratique avancée sous coordination médicale exclusive, pourrait se révéler être un frein. La pratique et les compétences infirmières placent ces professionnels comme incontournables pour cette fonction. En effet, qu’ils exercent en établissements de santé ou en ville, les infirmiers sont les pivots de la chaîne pluridisciplinaire et pourraient parfaitement remplir également des missions de coordination sur ce champ.

  • Concernant l’article 30 A bis supprimé par le Sénat :

Lors de la première lecture de ce projet de Loi, dans la nuit du 9 au 10 avril 2015, les députés ont voté, à 19 voix contre 10, un amendement de suppression de l’Ordre National des Infirmiers. Nous nous étions alors beaucoup interrogés sur les motifs de cette volonté concernant l’Ordre National Infirmier. Pourquoi ce choix de supprimer l’ONI et pas d’autres ordres parmi les paramédicaux ?
Pourquoi une décision aussi importante prise avec 29 votants ? Cet amendement a été depuis supprimé par le Sénat, qu’en sera-t-il à l’issue du vote final de l’Assemblée Nationale ?
Nous tenons à préciser qu’en matière de régulation de la profession infirmière, deux modèles existent en Europe : soit une régulation par la profession elle-même au sein d’ « ordres » ou de « conseil », soit une régulation par l’Etat ou les collectivités publiques.
Après de longs débats internes et le vote de l’Assemblée Générale Nationale de la CNI, notre syndicat a choisi de soutenir la création d’un ordre infirmier en France préférant une structure fédérant la profession pour assurer ses missions.
Nous ne nions pas que la structure soit très controversée y compris par les professionnels concernés, pas plus que nous ne cautionnons les erreurs de fonctionnement des débuts. Notre syndicat a d’ailleurs été le premier à dénoncer un montant de cotisation trop élevé. Cependant si la gouvernance de la structure ordinale a commis des erreurs, elle ne porte pas seule la responsabilité de sa mise en difficulté. Les ministres de la santé successives depuis la création de l’ONI en 2006 n’ont pas, par leurs discours, annonces et injonctions, fait preuve de clarté au regard de l’obligation d’adhésion que confère le texte aux professionnels infirmiers. Une caution tacite ministérielle qui dessert l’ONI mais qui place avant tout les professionnels en situation délicate, tant au regard du caractère d’exercice illégal qui pourrait être retenu à leur encontre en cas de procédure juridique, que de la clause d’exclusion que pourra faire valoir leur assureur (cf. code des assurances).
Contrairement à ce que certains argumentent, le Haut Conseil des Professions Paramédicales ne peut assurer la reprise des missions attribuées à l’Ordre National Infirmier. Supprimer l’Ordre reviendrait à revenir sur la notion de délégation des missions mais alors avec quel budget l’Etat reprendrait-il cet exercice ? Au regard des évolutions actuelles des pratiques et des besoins de la population, un suivi démographique, une régulation, le respect du code de déontologie sont des incontournables. Nous ne nous attarderons pas à répondre à la question d’une cotisation facultative car il s’agit virtuellement de la situation actuelle qui a déjà démontré son inefficacité à remplir les objectifs.
Vous trouverez joint à ce courrier un document réalisé pour répondre aux questions de Messieurs les Députés SEBAOUN et TOURAINE lors de l’audition du 28 octobre 2015.

  • Concernant le droit à prescription :

Nous sommes favorables à l’élargissement de notre droit à prescription avec l’article 33 qui nous aidera à remplir nos missions d’éducation et de prévention. Après la contraception par la Loi HPST, il s’agit cette fois du droit à prescrire des substituts nicotiniques. Nous déplorons une évolution « timide » de ce droit dans le registre de l’éducation et de la prévention notamment. Afin d’apporter une réponse cohérente et une modernisation réelle du système de santé, il nous paraîtrait plus pertinent de faire évoluer le droit à prescription infirmier, en précisant ce dernier dans le cadre des référentiels de formation des Masters en pratique avancée d’une part, mais également en modifiant l’article L 4311-1 tel que développé dans notre dossier joint en page 8.
Il apparaît, en effet, dans la pratique actuelle, que pour nombre de dispositifs (préventifs ou curatifs), les infirmiers rédigent la prescription et soient ensuite contraints à attendre une signature médicale générant attente et insatisfaction des patients mais également, dans certaines situations, un retard à la sortie
d’hospitalisation.

  • Concernant l’article 37 ter :

Le syndicat CNI est très favorable à cette rédaction. En effet, le choix de permettre que les recherches biomédicales concernant le domaine des soins infirmiers puissent être effectuées sous la direction et la surveillance d’un infirmier ou d’un médecin, présente de réelles perspectives en terme de plus-value dans la prise en soins des usagers du système de santé tant dans le domaine préventif que curatif.

  • Concernant la pénibilité professionnelle :

Suite à l’exposition à de nombreuses contraintes des professionnels aides-soignants, auxiliaires de puériculture, infirmiers en soins généraux, infirmiers spécialisés, nous revendiquons une reconnaissance de la pénibilité professionnelle. Nous vous adressons en page 10 de notre dossier, une proposition
d’amendement qui pourrait mettre en place une bonification au 1/5ème pour ces derniers.
Dans la mesure où les établissements hospitaliers portent la charge financière des arrêts maladie, il nous paraît bien plus pertinent de laisser le choix aux agents, qui le souhaitent et qui en ont les possibilités physiques, de poursuivre leur carrière plus longtemps. Face aux horaires atypiques avec alternance
fréquente et à leurs impacts sur la santé, il semble légitime d’en reconnaître la pénibilité professionnelle.
Restant à votre disposition pour toute information complémentaire, veuillez agréer, Mesdames, Messieurs les Députés, nos respectueuses salutations.
Nathalie DEPOIRE
Présidente du syndicat CNI